Sur la sellette, le groupement hospitalier isérois pourrait tomber aux mains du secteur lucratif. Un collectif d’usagers ainsi que les personnels exigent le maintien du service public et de l’accès aux soins pour tous.
La direction n’a pas perdu de temps. Dès le deuxième jour du déconfinement, les candidats à la reprise du groupement hospitalier mutualiste (GHM) de Grenoble (Isère) ont défilé dans les locaux. Alors que la vente de cet établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic) devrait se réaliser d’ici l’été, un collectif d’usagers et les personnels dénoncent la sélection par l’actionnaire principal, Aésio-Adréa Mutuelle, de deux acteurs du secteur, Vivalto Santé et Doctegestio, à mille lieues des missions de service public. Pour Jean-Philippe Moutarde, un de ses coordinateurs, les dangers sont multiples. « On s’inquiète pour l’accès aux soins et l’accueil universel. Sans compter que les services réputés du GHM comme la cancérologie, mais aussi les urgences et la maternité pourraient être menacés de disparaître alors que le CHU est surchargé. » À peine sortie la tête de la crise du Covid-19, les soignants voient les nuages noirs s’accumuler. Selon le collectif, une saignée serait également à craindre parmi les 1 250 salariés.
« Le nombre d’agents de services hospitaliers divisé par six »
Car les profils des deux premiers acheteurs n’ont rien de rassurant. Chez Vivalto, numéro 3 de l’hospitalisation privée en France avec une trentaine de cliniques, les pratiques font redouter le pire. « À l’hôpital du Confluent à Nantes, il y a 10 médecins contre 18 chez nous alors que nous avons le même nombre de passages aux urgences, 30 000 par an, détaille Jean-Philippe Moutarde. Au centre hospitalier Saint-Grégoire à Rennes, le nombre d’agents de services hospitaliers (ASH) a été divisé par six. Quant à la clinique générale d’Annecy, d eux chambres VIP ont, par exemple, été créées à la maternité. On sait qu’ils ont réalisé 12 % de marges en 2018 et ont un objectif de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2021. Tout cela n’augure pas d’actes de bienveillance pour la santé des Français… » Les usagers pointent la stratégie de rachats à tour de bras au sein de la branche « santé » de ce groupe détenu par les investisseurs CDC International Capital, Mubadala Development, mais aussi des banques et des assurances.
Du côté de Doctegestio, c’est également la rentabilité qui domine. Cette société spécialisée dans le tourisme social et la gestion immobilière avait été épinglée par l’émission Pièces à conviction. En cause, sa spécialisation dans la reprise de structures, notamment d’aide à domicile, avec promesse de maintien de l’emploi qui se traduisait, dans certains cas, par des coupes dans les effectifs. « Nous craignons de voir ces entreprises racheter les murs à prix d’or et vouloir ensuite réaliser des économies en taillant dans le personnel, appuie Thierry Carron, secrétaire FO du CSE. Nous sommes un établissement mutualiste depuis 1961, on va se battre pour qu’il le reste, pour continuer à proposer une offre de soins à destination des plus modestes, sans reste à charge. »
Un troisième repreneur, proche des acteurs locaux
Cette cession du GHM est d’autant plus contestée que le déficit mis en avant pour la justifier résulte en partie de baisses des tarifs de la T2A (tarification à l’activité) pour les Espic en 2018. Le groupement, dans le rouge de 600 000 euros cette année-là, se retrouve, dès 2019, avec un trou de 3,3 millions d’euros. « Or, ces dix dernières années, la société immobilière pro priétaire des murs a réalisé presque 20 millions d’euros de bénéfices, ce qui équivaut au déficit cumulé, avance Jean-Philippe Moutarde. Il y a un problème de gestion, les loyers ne sont pas censés rapporter autant d’argent dans ce type d’établissements. » Face à cet avenir incertain, les usagers avaient présenté un projet alternatif de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), vite écarté par la direction. Ils soutiennent désormais le troisième repreneur sur les rangs, l’Agduc, une association spécialisée dans la prise en charge des dialyses, proche des territoires et des acteurs locaux. Alors que de nombreux élus sont vent debout, le collectif incite « le CHU à bien évaluer la situation et l’agence régionale de santé à rester vigilante », rappelant au passage que le ministre de la Santé, Olivier Véran, député de la circonscription, s’était lui aussi prononcé contre le basculement vers le privé en août 2019. “
Cécile Rousseau